11 juillet 2018 / Grand pic de la Meije
Entreprendre la traversée de la Meije, tous les alpinistes en ont rêvé un jour. Cette fabuleuse montagne façonnée par les glaciers voilà des millions d’années est une sorte d’aboutissement pour qui la désire, se prépare longuement et finit par se lancer à l’assaut de ses secrets. La Meije représente deux courses en une. La longue et paumatoire montée au grand Pic d’abord puis la traversée des arêtes ensuite. Il faut la forme, ne pas se perdre et maintenir un rythme au long de l’aventure qui dure pour les meilleurs au moins 8h.
Olivier et moi-même nous nous étions longuement préparés à coup de footing et en effectuant 3 belles courses dont la traversée dôme de la Sache-Mont Pourri peu de temps auparavant. Et puis nous avons décidé que le moment était venu après plusieurs années de tentatives avortées. Nous sommes donc partis de Paris ce 9 juillet pour aller coucher au centre CAF de la Bérarde. Le lendemain nous avons entrepris la belle remontée du vallon des Étançons qui mène plein nord au refuge du Chatelleret où nous avons déjeuné.
L’immense muraille sud de la Meije surplombant la vallée à près de 4000 m, son glacier suspendu et ses arêtes, se rapprochaient à chaque pas. Nous avons achevé notre route au refuge du Promontoire, un endroit exceptionnel, haut perché, hors du temps, où la vue est imprenable à la fois sur la vallée glaciaire, sur la brèche de la Meije et, en levant le nez, sur ce qui nous attendait le lendemain, d’immenses flèches de granit s’envolant vers le ciel. Cette montagne, c’est également une histoire façonnée par les hommes qui se sont longtemps heurté à sa résistance. Elle n’a été conquise qu’en 1877 par Pierre Gaspard et le baron de Castelnau.
La chevauchée est telle que les endroits clés portent dorénavant des noms poétiques marquant autant d’étapes pour les alpinistes : le pas du chat, le campement des demoiselles, le couloir Duhamel, la dalle Castelnau, le cheval rouge suivi du chapeau du Capucin. A cet endroit, l’on se retrouve à chevaucher le rocher après une courte remontée sur une dalle inclinée et lisse à plus de 3900 m d’altitude, certainement l’un des plus beaux passages de la course juste avant l’arrivée au grand Pic. Nous nous sommes évidemment égarés lors de l’ascension si bien que nous avons perdu du temps et de l’énergie en cours de route. Nous sommes arrivés assez tard dans l’après-midi au sommet, en compagnie d’un guide et de ses 2 clients qui avaient prévu de bivouaquer. Nous étions un peu fatigués, le temps était splendide, le vent absent, les emplacements de bivouac corrects, des matelas roulés sous les rochers, tout nous poussait à faire une halte.
Pierre le guide, Pierre et Guillemette ses clients, furent des gens en or. Comme nous n’avions pas prévu de dormir à près de 4000 m d’altitude à la différence d’eux, nous n’avions ni sac de couchage, ni réchaud. Ils ont été généreux en nous donnant nourriture, polaire et prêté un réchaud que nous avons pu faire fonctionner grâce à des cartouches de gaz trouvées sous les rochers.
Le bivouac proprement dit sous un ciel étoilé s’est « passé » comme on peut peut l’imaginer : malgré nos 5 épaisseurs dont la couverture de survie, nous n’avons pas vraiment dormi, réveillé maintes fois à cause du froid, des courbatures et des crampes. Ce fut néanmoins un moment exceptionnel que de passer la nuit au grand Pic et je ne le regrette nullement. Au petit jour, nous ne nous étions pas vraiment reposés alors que la traversée des arêtes nous attendait de pied ferme. Les deux Pierre et Guillemette furent de nouveau généreux en nous offrant du thé et des petites choses à grignoter. On les remercie !
Nous voilà ensuite partis à l’attaque de la brèche Zsigmondy au moyen d’une ligne de 3 rappels. C’est à cet endroit que, malencontreusement, Olivier a fait partir des rochers. Du relais, je ne pouvais le voir même si j’avais bien remarqué qu’un petit éboulement venait de se produire.
Le temps passait et Olivier ne libérait pas la corde pour que je puisse descendre à mon tour. Il a fini par m’appeler, je me suis engagé et j’ai vite compris : la corde avait été pratiquement sectionnée en 3 points à cause de la chute de pierres. Elle ne tenait plus par endroits que par un mince filament. Nous avons tout de même réussi à rejoindre la brèche Zsigmondy réalisant qu’il n’était plus possible de continuer puisque nous n’aurions plus suffisamment de longueur pour redescendre plus loin du doigt de Dieu. Les cordées parties le matin même commençaient à arriver, dont plusieurs guides et leur client. Tous nous ont dit qu’il était préférable de contacter les secours. Chose que nous avons faite.
Notre aventure à la Meije s’est donc brutalement arrêtée, l’hélicoptère du PGHM nous ayant hélitreuillé jusque dans la vallée. Ils nous ont dit que nous avions bien fait de les contacter et nous les avons remercié chaleureusement. Ce sont de grands professionnels qui font un travail remarquable et risqué. Grâce à eux, des dizaines de vies sont épargnées chaque année en montagne.

Drôle de sensation que de passer en quelques secondes de la haute montagne au vert de la vallée. Nous regrettons certes de ne pas avoir pu terminer l’aventure et ne pas avoir revu nos amis de bivouac au refuge de l’Aigle. Reviendrai-je à la Meije ? Avec un peu de recul, j’ai effectivement très envie de répéter l’expérience cette-fois jusqu’au bout. L’avenir le dira…