La Barre des Ecrins en traversée
La Barre des Ecrins en traversée

La Barre des Ecrins en traversée

Barre des Ecrins – traversée Sud-Nord / 8 juillet 2020

Pour un cadeau ce fut un beau cadeau ! Fêter mes 10 ans d’alpinisme avec cette course historique (https://bit.ly/304EEqk), entreprise pour la première fois par Henri Duhamel et Pierre Gaspard père et fils en 1880 en aller-retour, était un rêve de gosse saupoudré de crainte ! En gravissant cette face j’ai tenté de me mettre dans la peau de ces monstres et de leur équipement d’alors, leur corde en chanvre et chaussures à clous, mais aussi leur sens de l’itinéraire doublé de leurs hésitations à s’engager dans tel ou tel passage, leur mental également qui les a poussé jusqu’au sommet. 140 ans plus-tard, l’équipement et les conditions de neige n’ont plus grand chose à voir. Les Gaspard auraient peine à reconnaître la voie par laquelle ils ont vaincu la Barre des Ecrins.

Temple-Ecrins

En effet, en 2020, le retrait glaciaire se poursuit jour et nuit. Si bien que l’attaque de la voie est rendue plus ardue avec un premier passage en 4 qui s’évitait facilement voilà encore quelques années par la remontée d’une langue de neige. Dur de débuter dans ces conditions sur les coups de 5 h du matin après s’être levé à 1 h 30 et quitté le chouette et tout neuf refuge Temple-Ecrins (https://bit.ly/2WmX7gS) vers 2 h, et avoir en préambule remonté près de 1 100 m de dénivelé en 3 h !

Au pied de cette face gigantesque, l’on se sent petit et désarmé. Heureusement que nous avons pour nous piloter Pierre Lainé (https://bit.ly/2CAZllu), guide de haute montagne. Il a accepté de nous conduire Olivier et moi sans qu’il n’ait lui-même effectué cette course, sa première tentative s’étant soldée par un échec à cause du verglas sur le début de la paroi. Mais en ce 8 juillet, le jour pointe et sera beau, sans trop de vent, et pas trop chaud. Le verglas a disparu et Pierre s’élance à l’attaque de la première longueur puis nous fait venir jusqu’à lui. Le rocher est bon, l’ascension pas trop compliquée, le cheminement complexe et ingénieux, c’est un régal.

Première partie de l’ascension

Nous poursuivons l’itinéraire sur plusieurs longueurs qui nous font côtoyer les abîmes, jusqu’à aborder une espèce de terrasse depuis laquelle nous apercevons les mythiques câbles installés il y a fort longtemps par les guides de la Bérarde. Ils servent à aider les clients à passer une partie de la paroi plus redressée. Autant vous dire que puisqu’ils étaient là, je ne m’en suis pas privé ni Olivier ! Quelques beaux passages d’escalade suivent dont une traversée gazeuse au-dessus du vide.

Les câbles

Puis s’en est déjà terminé de la grimpe pure, la suite de l’aventure se déroulant en remontant des pentes de neige sur environ 400 m avant de sortir sur l’arête sommitale. Sauf que, à cause du retrait glaciaire, la première cheminée neigeuse n’est plus vraiment accessible. Nous sommes alors sur un éperon rocheux et un peu coincés il faut bien le dire. Mais Pierre a déjà la solution en tête, à savoir réaliser un micro-rappel pour nous faire atterrir sur une minuscule vire depuis laquelle il suffira de tendre la jambe pour prendre pied sur la langue glaciaire puis en neige.

Début de la neige

Mais auparavant, il aura fallu remettre les crampons de manière acrobatique, en étant presque suspendu dans les airs tout en faisant bien attention de ne rien laisser tomber au passage. Chaque geste compte et il faut être sans cesse « focus » du lever au refuge (pour ne pas oublier le piolet par exemple) jusqu’à la sortie des dernières difficultés. Olivier étant parvenu le premier sur ce petit balconnet, il en a profité pour poser un relai de sécurité sur la vire, puis je l’ai rejoint. Pierre est descendu à son tour et a attaqué la langue de neige en posant une première broche à glace. Moi qui croyais cet obstacle infranchissable réalise qu’en définitive, il passe plutôt bien.

J’aime particulièrement les courses de neige. La face nord de la Tsanteleina (https://bit.ly/2OqqL0o) m’avait enchanté 15 jours auparavant. Ce petit couloir perdu dans la face sud de la Barre des Ecrins préfigurait de fait une longue remontée neigeuse jusqu’au sommet. Neige qui était somme toute acceptable, dans laquelle nous ne nous enfoncions pas, et qui, par endroits, conservait d’anciennes traces dans lesquelles nos crampons venaient s’enfoncer.

La sortie est encore loin

Après une traversée ascendante, nous sommes parvenus au couloir principal dont nous apercevions la toute fin bien plus haut. Il restait de la distance et nous en avons profité pour redoubler de vigilance et éviter de ripper, la chute de l’un n’étant pas permise à cet endroit. Après des dizaines et dizaines de minutes d’efforts, je fus le dernier à émerger du couloir pour prendre pied sur l’arête faîtière et enfin découvrir le glacier blanc dans toute sa splendeur. Quelle incroyable vue ! Ravi et fier d’être parvenu jusqu’ici, il ne fallait toutefois pas lézarder, le sommet étant encore loin.

Nous avons suivi le fil de l’arête qui s’élevait majestueusement jusqu’à la cime marquée d’une affreuse croix en alu, après avoir au passage croisé une cordée qui en redescendait. Pierre nous a menés à un petit replat à l’abri du faible vent et nous en avons profité pour grignoter et profiter du spectacle à 360° (https://youtu.be/syD4aDPj570).

A l’approche du sommet

A plus de 4100 m d’altitude, pas question de prendre du bon temps trop longtemps sachant que la descente allait être longue, très longue. Nous devions en effet rejoindre le petit village de la Bérarde, soit une plongée d’environ 2370 m par la face nord de la Barre puis par le col des Ecrins et le vallon de Bonnepierre. Mais en montagne, chaque chose en son temps ! Il nous fallait tout d’abord revenir sur nos pas à travers un parcours d’arête en mixte plus ou moins exposé. Je pris les devants et fis mon cheminement en me basant sur les traces de pas dans la neige et au rocher blanchâtre par endroits à cause des milliers de coups de crampons l’ayant meurtri. Nous n’étions plus très loin de la cordée croisée à la montée lorsque Pierre décida de nous mouliner jusque sous la rimaye terminale afin de gagner du temps. Il nous accrocha tous les deux à sa corde puis nous voilà partis, moi le premier, jusqu’au trou béant formé par la crevasse.

La face Nord bien crevassée…

Je pris tant bien que mal mon élan pour parvenir de l’autre côté sans trop de problème. Olivier termina sur le dos avant de me rejoindre. Restait à Pierre à la franchir. Après une descente dos à la pente, il prit son élan et sauta comme un Chamois ;-)(https://youtu.be/C3dT2IfcQVg). S’ensuivit une courte désescalade pour revenir à nos côtés. L’énorme trace de montée n’était plus très loin et nous la prîmes pour débuter la descente monotone et fatigante au cours de laquelle nous dûmes sauter par dessus une seconde crevasse. Nous passions à côté de séracs immenses. La trace, bien étudiée, les contournait en partie. Nous savions bien qu’il ne fallait pas trop traîner dans les environs d’autant que l’heure avançait.

J’accusais la fatigue lors du dernier tiers et eu bien du mal à remonter les 50 m qui nous séparait du col des Ecrins ! Pierre me dit que ce devait être l’altitude. Nous fîmes une pause bienvenue avant d’attaquer la seconde partie de la descente. Après s’être restauré, ma jauge d’énergie avait fini par quitter la zone rouge. Nous pouvions attaquer le vallon de Bonnepierre. Le col des Ecrins est en fait un passage étroit permettant de revenir vers la Bérarde. Nous y étions passé en 2014. 6 ans plus-tard, la hauteur de neige a diminué de plusieurs mètres ! Désormais, un court chemin ascendant en rocher permet d’y accéder.

Le vallon de Bonnepierre

Sa première partie est une désescalade en rocher à l’aide de câbles courant tout le long de la paroi. Cette espèce de Via Ferrata d’altitude n’est accessible qu’en été, le reste du temps la main courante est recouverte de neige. Nous avons redoublé de vigilance à cause de la fatigue même si la descente, parfois aidée de barreaux scellés, n’était somme toute pas bien compliquée. Nous sommes finalement parvenus au bord supérieur d’une langue de neige assez pentue que Pierre nous a fait rejoindre en nous moulinant avant de parvenir jusqu’à nous en désescalade. Nous étions presque sortis des difficultés, l’heure affichant allègrement 14 h 30. Il fallait maintenant faire attention aux éventuels caillasses pouvant se décrocher des parois supérieures, d’autant que le soleil donnait à plein. Nous avons donc parcouru la trace de descente sans nous arrêter, jusqu’à ce que la pierraille ne puisse plus nous atteindre.

Le soulagement de s’en être plutôt bien sorti sans avoir trop explosé l’horaire de la course, ajouté au fait que nous avions réussi l’une des plus longues et compliquées bambées montagnardes de ces dernières années, nous a plutôt ravis Olivier et moi ! Evidemment, nous n’aurions jamais tenté l’aventure sans un guide de haute montagne et nous remercions Pierre pour sa patience, sa bonne humeur et sa vaste expérience.

Le sommet et la reine Meije

Pierre a été aux petits soins tout au long de ces longues heures passées dans des terrains pas vraiment adaptés à l’être humain ! Nous nous sommes quittés heureux au beau milieu du vallon de Bonnepierre et avons entrepris à notre rythme de fourmi cette longue descente d’abord sur une interminable moraine puis ensuite à travers un chemin tout de vert vêtu bien plus accueillant. Nous ne sommes pas près d’oublier cette traversée Sud-Nord de la Barre des Ecrins, un joyau classique de l’alpinisme à conseiller à tous les amateurs alpinistes-escaladeurs de haute montagne.

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