Brèche carré et brèche de l’Olan – Pointe du Vallonnet : Pilier sud
Jeudi 18 et vendredi 19 septembre 2025
J’ai caressé un chien patou. Un beau berger d’Anatolie plus précisément. Belle bête, belle prestance et belle dentition ! Nous étions sur la terrasse du refuge du Font Turbat lorsqu’un troupeau de moutons a déboulé en compagnie de la bergère et ses chiens. Pendant qu’elle discutait avec la gardienne du refuge, son patou est passé de table en table pour peut-être grapiller quelques miettes ici où là. Il n’avait pas l’air bien méchant et j’en ai profité pour lui gratouiller la tête. Puis il est reparti vaquer à ses occupations de patou.

La bergère elle, a fini par redescendre avec ses chiens de troupeau sans que le valeureux cerbère à une tête ne réapparaisse (imaginez-le seul la nuit pour protéger des dizaines de moutons face à une meute de loups, il en faut du courage !). Je me suis dit qu’il avait dû rejoindre la bergère et ses blancs moutons en passant par le côté opposé du refuge. Que nenni ! En voulant entrer dans la baraque, j’ai failli lui marcher dessus. Monsieur faisait la sieste confortablement installé à l’ombre. J’en parle au gardien qui le fit déguerpir en lui disant « allez file ! ». Il n’a pas demandé son reste et est redescendu tranquillement en suivant le petit sentier de montée. Nous ne savions pas encore que nous allions le recroiser quelques heures plus tard lui et ses congénères dans des conditions toutes autres…
Le matin même sur les coups de 4 heures, nous étions bien décidés à vaincre l’Olan par son arête nord. Nous avions tenté cette voie quelques années auparavant, et avions échoué au niveau du lac des Pissous, incapables de trouver le bon passage sur des dalles exposées. Cette fois-ci, sur les conseils de la gardienne du refuge, le chemin nous a paru beaucoup plus logique dans un dédale de pierriers et de moraine infâmes. Du reste, la gardienne nous avait prévenus la veille en nous disant qu’arrivés au lac des Pissous, nous allions « galérer ». Effectivement, ce fut le cas ! Passé ce premier obstacle péniblement, nous avons continué en direction de la brèche carrée dans un terrain tourmenté constitué tour à tour de moraine, blocs, dalles et autres vires. L’itinéraire ne laisse pas grand choix pour rejoindre la diaclase puis le début de l’arête nord. Hélas, à cause d’un manque d’énergie de ma part, du terrain compliqué ralentissant notre progression, et également la perspective de devoir redescendre l’arête en étant exténués, nous avons préféré renoncer et opérer un demi-tour à la brèche. Nous avons emprunté une vire supérieure, à la fois délicate et très aérienne, où il a fallu que l’on pose quelques points pour nous protéger. Nous avons ensuite été souffler un peu à la brèche de l’Olan facile d’accès. De cet endroit à 2970 m d’altitude, le regard porte vers le glacier des Sellettes à l’est. A lui seul, il exprime la maladie incurable des glaciers du monde entier, dont la disparition est programmée à plus ou moins long terme, n’en déplaise à celles et ceux qui réfutent le réchauffement climatique en cours.
De retour au refuge à la mi-journée, nous avons repris des forces pour la journée du lendemain qui elle aussi allait consacrer une nouvelle approche harassante jusqu’à l’attaque du pilier sud de la pointe du Vallonnet. Bien décidés à ne pas rééditer le non-exploit du jour, nous sommes allés nous reposer une bonne partie de l’après-midi.
Les gardiens nous ont choyés lors des deux repas du soir, le premier d’ailleurs pris en leur seule compagnie puisque nous étions les uniques clients ce jour-là. Le lendemain, la tablée fut plus conséquente en présence de deux professionnels du wingsuit qui avaient prévu de se lancer du haut de l’Olan pour ensuite basculer vers le Valgaudemar en passant au-dessus du col Turbat. Ils nous ont dit que la durée du vol n’excédait pas les 2 minutes avant de déployer le parachute, et que les sensations étaient comparables au pilotage d’un avion de chasse. Sur ces bonnes paroles, tout ce petit monde est allé se coucher en prévision d’aventure terrestre pour notre part, et aérienne dans leur cas.
Il nous a fallu du temps et de l’énergie pour enfin nous retrouver à l’attaque du pilier sud de la pointe du Vallonnet. Plus de deux heures d’approche au bas mot effectuées en partie dans un gigantesque pierrier dont on ne voyait pas la fin. Mais le simple fait de finalement se retrouver à l’attaque et de scruter le début de la première longueur en 4b (la voie en compte 8 sur un dénivelé d’environ 300 m) suffit à me convaincre que nous avions pris la bonne décision de ne pas abandonner ni d’aller gravir pour la seconde fois l’arête des Murois.
Olivier s’élance dans cette longueur facile et je le rejoins aisément. Arrive la très belle 3ème longueur en 5b constituée d’une rampe et de fissures. Puis nous finissons par arriver au crux de la voie, à savoir la 6ème longueur très aérienne ! Le relais s’effectue dans un renfoncement de la paroi où nous en profitons pour nous remplir la panse. La voie part en ascendance à gauche au-dessus du vide. Il s’agit de grimper sur un mini-piton rocheux avant de poursuivre juste au-dessus puis effectuer une traversée aérienne et franchir un surplomb. La voie continue ensuite tout droit avant de se terminer dans un relais malcommode. Olivier allait-il passer ? Ce serait dommage de tout redescendre en rappel ! Il passe finalement relativement aisément puis c’est à mon tour de m’élancer. Je me rappellerai effectivement longtemps cette 6ème longueur, incroyable, esthétique et gazeuse à souhait ! Les 3 dernières longueurs permettent d’accéder au sommet après un bel enchaînement qui se termine sur le fil de l’arête. Ce pilier sud mérite vraiment le détour même si le rocher y est parfois branlant. J’ai ainsi failli faire partir un immense bloc à l’un des premiers relais, et l’ai gentiment remis en place ! Que dire aussi de l’unique rappel de sortie sanglé sur un bloc gigantesque dont certaines parties sonnaient creux… Celui-là finira par se détacher un jour !
La descente de cette montagne peut s’avérer périlleuse si l’on ne prend pas le temps de suivre le judicieux cheminement de cairns qui permet de rejoindre le haut du pierrier à environ 2800 m d’altitude. Arrivés au bas de celui-ci vers 16h30, nous avons rempli nos gourdes dans l’un des nombreux écoulements d’eau affleurants sur la roche. Nous avons fini par rejoindre notre chemin de montée de la veille à environ 1290 m d’altitude après une charmante redescente en empruntant le sentier du petit vallon.
Il nous restait encore 500 m de dénivelé jusqu’au hameau du Désert et surtout plus de 6 kilomètres à parcourir alors que le soleil commençait à décliner. Le crépuscule ne tarda pas à arriver alors que nous progressions dans la partie la plus large du vallon. Soudain, un aboiement, un seul, nous rappela que les moutons qui étaient redescendus la veille ne s’étaient pas évaporés, et que s’ils étaient parqués plus bas, ils étaient forcément gardés par des patous… Nous avons allumé nos frontales tandis qu’un chien arrivait dans notre direction en aboyant, ses yeux se reflétant dans nos faisceaux lumineux. Nous savions qu’à cet endroit des moutons avaient pour habitude de se prélasser à l’ombre d’énormes blocs de rochers. Nous n’en menions certes pas large et nous nous sommes efforcés d’appliquer les consignes dans ce cas de figure, à savoir ne pas courir, mais s’éloigner en marchant dans la direction opposée au patou. Ce que nous avons fait en effectuant une large boucle dans le vallon avant de retrouver le sentier beaucoup plus loin. Et effectivement, le gentil toutou a fini par rejoindre le troupeau.
Hélas, ce n’était que le hors-d’œuvre ! À l’approche du Désert, d’autres aboiements au loin ont retenti et, à mesure que nous approchions, des paires d’yeux brillaient dans le noir. De l’endroit où nous nous trouvions, impossible d’effectuer un détour à moins de plonger dans la rivière la Bonne ! Il allait falloir passer au milieu de ces cerbères qui, fort heureusement, se trouvaient derrière des filets tendus tout au long du chemin pour que les moutons évitent de s’éparpiller n’importe où. Nous avons progressé prudemment, protégés par ces dérisoires barrières, alors que les chiens (6 en tout) aboyaient à notre passage, parfois à deux mètres de nous. Enfin, ce fut la délivrance à l’approche de la clôture métallique marquant l’accès au hameau. Après ce que nous venions de vivre, la 5ème longueur de la pointe du Vallonnet nous a semblé dérisoire face à l’épreuve des patous !




