Roche de la Muzelle : Arête NE par le Glacier de la Muzelle
Vendredi 27 et samedi 28 juin 2025
Voilà quelques années déjà que cette Roche de la Muzelle nous faisait de l’œil. Des années que nous nous promettions de la gravir. Nous avions esquissé la traversée de son arête Ouest – Nord-Est avant de rabaisser nos prétentions à la voie normale qui constitue déjà une assez longue bavante pour nos vieux os ! Cette montagne qui culmine à 3465 m d’altitude avec son sommet en demi-lune caractéristique se voit de loin. Des Deux Alpes notamment, comme le raconte le guide de haute montagne Pierre Lainé qui, lorsqu’il donne des cours de ski dans cette station, est pas mal sollicité par une portion de sa clientèle qui aimerait bien fouler son sommet tant il est tentant. Justement en parlant de sommet, avant de l’atteindre, nous savions que la montée serait rude depuis le Bourg d’Arud. A savoir près de 1 200 m la première journée pour atteindre le refuge de la Muzelle, puis le lendemain, sur les coups de 3 heures du mat, de nouveau environ 1 200 m de dénivelé et enfin pour finir en beauté, 2 400 m de dénivelé de descente.
Nous débutons la montée en sous-bois en début d’après-midi après qu’un couple de retraités nous a souhaité bon courage. On les remercie, on va en avoir besoin ! Le chemin est plaisant qui remonte un vallon boisé en longeant la rivière la Villeneuve et ses somptueuses cascades. Beaucoup plus haut, le tracé semble finir ses jours dans la rivière. De fait, un gigantesque névé à notre gauche le surplombe et le masque. Nous finissions par comprendre qu’il faut le traverser prudemment pour le rejoindre de nouveau un peu plus loin alors qu’il file vers les hauteurs. La montée (presque) finale est constituée d’un rude ressaut où des moutons n’ont pas trouvé mieux que de le squatter. Et qui dit bêtes à poil, dit chiens patous ! En voilà un justement qui nous mire depuis quelques minutes. Il ne semble finalement pas nous en vouloir plus que ça, si bien que nous finissons par passer gentiment sans le regarder en espérant qu’il reste bien couché à humer l’air des montagnes. Le danger étant écarté, nous atteignons un vaste replat en herbe, descendons légèrement, avant de finir par découvrir le paradis des randonneurs. Le refuge de la Muzelle est situé dans un endroit remarquable. Son lac aux reflets bleus autour duquel des pentes s’inclinent doucement vers les hauteurs, le col au loin, tout invite à la rêverie. Le refuge est quasiment plein, et des tentes sont visibles de l’autre côté du lac. Il faut dire que le GR 54 est un grand classique qui attire beaucoup de monde. En grande majorité des marcheurs, mais également quelques grimpeurs et… 2 cordées d’alpinistes en nous comptant. La seconde cordée du jour est constituée d’un couple de retraités qui souhaite uniquement pousser jusqu’au col Jean Martin, où la course de neige laisse la place à la grimpe sur le bon rocher de l’Oisans ! Comme nous allons nous réveiller sur les coups de 3 h du matin, le gardien nous invite à prendre possession des couchages se situant dans la salle à manger. Drôle de conception de l’endormissement au milieu des randonneurs. Pourtant, très vite après le dîner, la salle se vide, le gardien referme les portes si bien que nous glissons dans le sommeil assez vite.
Le réveil alpinistique, j’ai fini par m’y accommoder au fil des années, et un petit déjà à 3 h du matin ne me fait plus peur. On sort ce jour-là du refuge blindé d’énergie en prévision des 1200 m de dénivelé jusqu’au sommet. La première partie de l’approche s’effectue de nuit en suivant un débonnaire sentier grimpant vers la moraine du glacier. Nous finissons par arriver au bas de celui-ci en traversant des névés et des zones caillouteuses, tandis que le couple d’alpinistes retraité a préféré continuer sur le fil de l’arête en rocher, ce qui visiblement n’était pas la bonne solution. Nous finissons par les rejoindre quand soudain la femme glisse et manque de dévaler la pente, seulement retenue par la poigne de son mari. Je me précipite, lui attrape l’autre main et la hisse sur le replat. Plus de peur que de mal, mais petit signal pour eux tout de même quant à la suite des événements. Du reste, comme ils l’avaient laissé entendre, ils feront demi-tour au col Jean Martin à 3257 m d’altitude. La remontée du glacier s’effectue dans une neige correcte, et nous finissons par distinguer très nettement l’accès au col ainsi que sa pente qui se redresse nettement. J’aime beaucoup les courses de neige de ce type, et je garderai toujours en mémoire la remontée du couloir Whymper en 2013. Rien à voir ici ! Le couloir est riquiqui tout en se redressant et nous le gravissons aisément.
Avec le col en (mauvais) rocher débute la seconde partie des réjouissances. Après que le couple est parvenu à son tour au col en nous faisant savoir qu’il n’ira pas plus loin, nous poursuivons notre route en solitaire en gravissant le flanc de la montagne après avoir traversé une boîte aux lettres et accédé à la paroi de manière acrobatique… Olivier ouvre la marche et je le suis dans un dédale rocheux pas bien compliqué à remonter. Nous voilà enfin sur le fil de l’arête. Le sommet n’est pas encore visible, ce qui est normal puisqu’il reste environ 700 à 900 m de parcours aérien. Bon an mal an, nous finissons par arriver à son antécime et décidons de nous arrêter là sachant très bien que la descente va être une sacrée épreuve. Rester concentré durant ce type de descente est obligatoire ! D’autant que le rocher est délité et la désescalade parfois aventureuse, je vais en faire les frais. À mi-pente, nous sommes rattrapés par une cordée de jeunes très certainement en train de remplir leur carnet de courses en vue de devenir guides. Nous les saluons en les laissant passer. Ils ont effectué la traversée intégrale depuis l’arête Ouest et sont très rapides. Alors que nous sommes toujours occupés sur le rocher, les voici déjà qui s’engagent dans le col Jean Martin. Je rejoins par la suite Olivier sur le fil de l’arête en m’appuyant sur un gros bloc qui, soudainement, se détache de son socle. J’ai juste le temps de me recroqueviller si bien que celui-ci ne fait qu’effleurer mon bras droit.
Quelques égratignures et plus de peur que de mal. Ah, le bon rocher de l’Oisans ! De retour au col, nous préférons descendre ses premiers mètres face à la pente avant de poursuivre plus bas en suivant la trace sur le glacier. Commence alors la longue bavante du retour, d’abord jusqu’au refuge, puis au Bourg d’Arud, soit environ 2500 mètres de dénivelé négatifs. Cette seconde partie fut, il faut bien le dire, un calvaire. La chaleur et l’humidité combinées à la fatigue et à nos muscles endoloris firent que nous avancions à la vitesse de l’escargot, nos bâtons de marche étant devenus des béquilles d’hôpital ! Mais nous étions malgré tout fiers et contents d’avoir gravi cette montagne en nous disant bien que nous n’y remonterions plus jamais !
