« T’as fait Les Courtes ! »
« T’as fait Les Courtes ! »

« T’as fait Les Courtes ! »

03, 04, 05 Juillet 2012 / Les Courtes

Olivier me le dit en souriant : « T’as fait Les Courtes ! » Enfin, déjà on les a faites ensemble, Les Courtes. Qui devraient plutôt se dénommer Les Longues étant donné que pour en venir à bout, il nous aura fallu près de 16 heures ! Mais au fait, Les Courtes c’est quoi au juste ? Je n’en avais jamais entendu parler avant qu’Olivier ne me propose cette course (Parcours en montagne qui, à la performance sportive de l’ascension, ajoute le plaisir esthétique de l’excursion. Une course difficile, avec guide. Les courses ne sont plus de mon âge; par deux fois j’ai cru tourner de l’œil avant d’arriver au sommet (Gide, Carnets Égypte,1939, p. 1057)).

Il s’agit donc d’un sommet à gravir depuis une pente neigeuse d’environ 45° d’inclinaison qui se prolonge par une suite d’arêtes à travers laquelle l’on progresse lentement avant de redescendre plus ou moins difficilement en fonction du moment de la journée, la chaleur impliquant souvent chutes de pierres et coulées de neige. Une belle montagne en somme, proche de l’Aiguille Verte, que nous avions également projeté de gravir. Cependant la rimaye du glacier nous en a empêché (Large crevasse ouverte profondément sur le pourtour du névé, entre le rocher (ou la glace qui y adhère) et la glace en mouvement. Les chercheurs parvinrent à la rimaye. C’était certainement l’une des plus impressionnantes que l’on pût voir à cette époque de l’année: les deux lèvres étaient distantes de dix mètres (R.Frison-Roche, La Grande Crevasse,1952 [1948], p. 252). Donc, ce sera finalement Les Courtes, le sort en est jeté. http://www.camptocamp.org/summits/37567/fr/les-courtes

Nous voilà partis de Paris en voiture pour arriver le soir à Demi-Quartier où nous prenons… nos quartiers pour la nuit avant de rejoindre le train du Montenvers à la mi-journée. Un petit train mythique, ma première fois là encore, qui va nous hisser jusqu’à la mer de glace, où du moins ce qu’il en reste.

Après avoir religieusement écouté un glaciologue expliquant au public venu admirer la langue de glace, que le réchauffement climatique était particulièrement marqué ces dernières années et que la mer de glace se réduisait comme peau de chagrin, nous partons à sa rencontre. Effectivement, alors que voilà encore quelques dizaines d’années, l’on prenait pied sur le glacier sans sourciller, il nous faut à présent descendre plusieurs séries d’échelles avant de pouvoir y accéder, crampons aux pieds. Remonter pour la première fois la mer de glace, entourée de part et d’autres de sommets mythiques (hélas, les Drus sont ce jour-là dans le brouillard) est un ravissement. Il est très agréable de marcher sur la glace, crampons et bâtons permettant une progression efficace et rapide, d’autant que le dénivelé n’est pas très marqué. Pour la première fois, je découvre des crevasses gigantesques, plusieurs dizaines de mètres de profondeur sur des dizaines de mètres de long. Au fond de la principale coule une rivière. Au retour, nous verrons le PGHM (http://www.pghm-chamonix.com/) de Chamonix s’entraîner sur les parois verticales glacées.

Après une longue et majestueuse remontée de la mer de glace, nous arrivons au pied d’autres échelles, bien plus impressionnantes que celles qui nous ont permis de prendre pied sur le glacier. Ce sont celles qui mènent au refuge du Couvercle, point de départ obligatoire vers plusieurs sommets dont la majestueuse Aiguille Verte, la pointe Isabelle, les Droites et donc, les Courtes. Mieux vaut s’encorder sur ces échelles qui, une fois encore, montrent à quel point la mer de glace n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Après une jolie ascension aérienne de type Via Ferrata, nous prenons pied sur une sorte de petit plateau et suivons un agréable chemin en zigzag qui nous mène au refuge, tempo parfait pour apprécier un bon repas après un accueil chaleureux. A cette époque de l’année, le refuge est assez fréquenté. Nous côtoyons un groupe de retraités partis faire la tournée des refuges environnants et accompagné d’un guide ahurissant, sorte de capitaine Haddock tout droit sorti d’un roman de Frison-Roche ! Pas mal de jeunes alpinistes également, dont un frère et une soeur qui nous offriront à notre retour un peu de Génépi bienvenu.

L’ambiance est également « sérieuse », chacun s’apprêtant à entreprendre un sommet le lendemain matin. Olivier demande au directeur du refuge si la rimaye de l’Aiguille Verte est en bonne condition. Hélas, ce n’est pas le cas. Il faut dire que j’avais un peu d’appréhension à gravir cette mythique montagne qui ne se laisse approcher que de temps à autre, la rimaye empêchant bien souvent l’accès au couloir Whymper qui, dans sa partie supérieure, accuse une pente de 50°. « Il te faudra deux piolets » m’avait du reste annoncé Olivier. Propos qui n’était pas pour me rassurer ! Il faut dire que cette montagne, je m’en faisais une véritable… montagne. Cependant, revenu des Courtes, je confierai à Olivier que finalement, j’aurais certainement préféré gravir la « Verte » à cause d’une descente relativement aisée grâce à une série de rappels. Au lit à 20 heures donc, des boules Quies dans les oreilles et un léger somnifère afin de trouver rapidement le sommeil avant notre réveil à 2 heures. Ambiance monacale à cette heure-ci au Couvercle. Plusieurs personnes sont déjà en train d’ingurgiter thé, céréales, pain et confiture lorsque nous descendons dans la salle à manger. Je me sens en super forme et ai hâte de partir. Après avoir bien profité de ce petit déj matinal, nous voici en route attaquant une première descente nous menant au glacier de Talèfre. Descente folklorique puisque nous devons nous accrocher à de vieux bouts de corde et opérer une sorte de rappel jusqu’à la base du glacier. Ce sera bien pire au retour. Une fois en bas, nous commençons à remonter le glacier dans un univers fantomatique, d’autant que nous profitons de la pleine lune pour éteindre nos frontales et continuer à la seule lumière de l’astre lunaire. De petites lueurs nous précèdent, une cordée partie avant nous et qui se dirige elle aussi vers les Courtes. Le chemin est tracé ! Bientôt, le dénivelé s’accroît et nous arrivons dans les pentes de neige précédant l’ascension des Courtes. Nous mettrons environ 5 heures pour parvenir au sommet. L’arête sommitale est impressionnante. C’est un véritable régal de se retrouver à cet endroit magique après pas mal d’efforts.

Reste encore toute la traversée des crêtes à effectuer. J’ouvre la voie, Olivier m’assure, nous progressons sans trop de difficulté sur une suite de rochers parfois recouverts de neige. L’a-pic est impressionnant. Nous embrassons du regard le majestueux glacier d’Argentière. Nous devrons juste rebrousser chemin une fois, nous étant engagés sur une mauvaise voie en tentant de contourner un gendarme. Après 4 heures d’une jolie progression sur les arêtes, nous voilà arrivés au col des Cristaux qui sonne le début de la descente.

Il est déjà midi est il commence à faire chaud. Pas bon signe alors que nous nous apprêtons à attaquer la vertigineuse descente. Il nous faudra de longues heures de galère pour parvenir à mettre à nouveau le pied sur le glacier de Talèfre, très loin en dessous. L’inclinaison est parfois si impressionnante que je progresse de temps en temps dos à la pente. Les assurages sur glace se suivent les uns après les autres de même que les assurages sur des blocs de rocher pourris. Heureusement, le piolet nous sert à dégager des assurages un peu plus sécurisés mais… je n’en mène tout de même pas large ! D’autant plus qu’au passage d’une petite cheminée, Olivier, resté derrière moi, déloge un gros bloc de rocher. J’ai juste le temps de l’entendre crier « Attention ! » et de me jeter contre la paroi pour ressentir aussitôt un choc violent contre mon sac à dos. Je suis sonné. Olivier me crie « Ça va Stéphane ?! » deux ou trois fois de suite avant que je ne reprenne mes esprits en m’apercevant que je saigne du front. Heureusement, la blessure est superficielle et, après un traitement de choc à base de neige, le saignement finit par s’estomper. J’en serai quitte pour un œil au beurre noir ! Pas de quoi me dégoutter de la haute montagne. Nous arrivons enfin à la rimaye du glacier que nous parvenons tant bien que mal à franchir. Ce n’est que vers 18h30 que nous parviendrons au refuge, après avoir essuyé un orage de grêle au beau milieu du glacier. Olivier nous aura fait « ranger la quincaillerie », c’est à dire dégaines, descendeurs, coinceurs et autres friends (http://fr.wikipedia.org/wiki/Coinceur_m%C3%A9canique). Il nous faudra encore nous hisser au moyen de ces maudits bouts de cordes, rendus glissants par la pluie avant de franchir la porte du refuge. Quel bonheur que de se retrouver là, après une telle course. Cela tombe d’autant mieux que nous arrivons pour nous mettre les pieds sous la table. J’ai l’impression de tenir une forme olympique, sorte d’ivresse de l’altitude malgré ma balafre !

Après une bonne nuit et un bon petit déjeuner, nous voilà repartis vers le petit train du Montenvers. Les gardiens du refuge du Couvercle auront été charmants tout en nous donnant des informations importantes par rapport à ce que nous envisagions de faire. Nous les en remercions chaudement. En redescendant la mer de glace, nous aurons donc la surprise de voir évoluer le PGHM de Chamonix. Ma première vraie course au cœur du massif aura donc été un succès malgré une gueule de repris de justice au retour dans le train. Sous quelle forme se déroulera la prochaine, nul ne le sait encore. Si j’ai bien appris une chose durant ces dernières heures, c’est qu’en alpinisme, rien n’est jamais écrit à l’avance. Voilà l’une des raisons pour lesquelles je suis maintenant accro !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *