8, 9, 10 juillet 2015 / Mont Blanc par les dômes de Miage et l’aiguille de Bionnassay
Ce fut notre plus important projet cette année et nous l’avons mené à bien ! Olivier l’avait déjà entrepris voilà 30 ans. Il n’a évidemment pas trouvé les mêmes conditions, l’arête de Bionnassay étant bien tracée en ce début juillet, alors que lorsqu’il l’avait atteinte avec son frère Christophe en 1985, la neige était abondante et la trace inexistante si bien qu’ils avaient dû progresser à califourchon.
Quoi qu’il en soit, le clou du spectacle se situe bien là, à travers cette montée à Bionnassay depuis le refuge Durier au petit matin. De la caillasse, une crête en neige puis le fameux bastion rocheux où Olivier a un peu cherché l’itinéraire, et enfin cette ascension finale vers la fine arête, sorte de progression vers le ciel tout bleu ce jour là. Le lente descente vers le col du même nom puis la remontée vers le rocheux piton des Italiens fut également un ravissement.
Le Mont Blanc se rapprochait peu à peu, jusqu’à être presque à portée de mains lorsque nous atteignîmes le dôme du Goûter. Petit moment de doute à l’attaque du sommet. Allions-nous nous diriger vers l’aiguille du Goûter et finir là tranquillement notre course ou allions-nous nous engager vers les dénivelés menant au monstre des Alpes ? Avais-je encore assez d’énergie et d’envie pour continuer ? Certainement ! Et puis je me disais en mon for intérieur que ce n’est pas demain qu’une si belle occasion de monter là-haut se reproduirait. Bref, la décision fut vite prise de continuer. J’évitais de jeter des regards au loin pour apercevoir le zigzag interminable de la trace et les alpinistes transformés en fourmis par la hauteur et la distance.
Le mental m’a certes aidé durant cette longue ascension, d’abord jusqu’au premier palier du refuge Vallot, puis lors de l’attaque de l’arête des Bosses et enfin durant la pente finale vers le large dôme du toit de l’Europe. Il y avait à ce moment-là une dizaine de personnes au sommet. Congratulations, prises de photos et tour d’horizon depuis ce belvédère évidemment imprenable, sans doute la plus belle vue des Alpes puisque la plus haute. Et pourtant, bien que très content d’être là, je songeai avoir été bien plus fier d’atteindre le sommet de l’aiguille Verte deux ans plus-tôt, une ascension qui se mérite et qui ne se laisse pas déflorer aussi facilement que celle du mont Blanc !
Nous avions donc décidé cette année de répéter l’intégralité de notre périple avorté l’an dernier pour cause de météo défavorable. Nous pensions tout de même dans un premier temps le raccourcir en gravissant l’arête Mettrier depuis le refuge Plan Glacier. Cependant, les conditions de terrain n’étant pas favorables, nous avons pris le parti de repasser par le refuge des Conscrits pour entamer en sens contraire la belle traversée des fabuleux dômes de Miage. Nous y avons fait connaissance de trois autres cordées qui allaient elles aussi se lancer le lendemain matin à l’assaut du même itinéraire royal pour atteindre le toit de l’Europe. Un médecin (rassurant !) très au fait de l’hypoxie (http://goo.gl/OeSN0a) et son ami, un couple de Suisses plutôt en forme et aguerris ainsi qu’un dernier duo accompagné d’un guide fort sympathique. Nous ne serions donc pas seuls durant la traversée. Nous voilà donc partis le lendemain matin pour cette seconde journée qui devait nous conduire au refuge Durier, minuscule édifice en tôle perdu au pied de l’imposante muraille de Bionnassay.
Une halte (ma quatrième en un an !) au sommet de la facile aiguille de la Bérangère s’avérait profitable avant d’attaquer la longue ascension vers le premier dôme après une première descente vers le col du même nom. Les dômes resteront à jamais un chef-d’œuvre de la nature. Quel plaisir de les fouler à nouveau même si, à un endroit, le réchauffement avait poursuivi son lent travail de sape : une crevasse s’était formée en versant ouest de la trace. Un trou béant qui n’augurait rien de bon pour la suite de l’été. Arrivés au cinquième dôme en suivant au loin la cordée du médecin, nous allions finalement quitter cette fine et agréable arête saupoudrée de neige pour aborder un mix composé tour à tour de caillasse et de neige, jusqu’à un rappel caché mais néanmoins repérable grâce à des traces de peinture rouge.
A cet endroit, d’immenses blocs de pierre semblaient posés les uns sur les autres prêts semble-t-il à se disloquer tel un château de cartes au moindre coup de vent ! Il ne fallait pas trop traîner dans les environs. Nous avons continué à descendre en direction de Durier dans un capharnaüm de pierrailles et autres rochers de toute taille où Olivier a laissé échapper un gant qui n’est heureusement pas allé bien loin. Puis, ce fut une nouvelle arête en neige très fine où j’ai dû remettre mes crampons pour plus de précaution. Et enfin l’arrivée au refuge à la mi-journée où, c’est le cas de le dire, nous allions trouver refuge pour la nuit. Un peu affamés, nous avons eu droit à une excellente omelette de la part de Marion, exemplaire jeune gardienne depuis plusieurs saisons déjà, très au fait de la montagne et de ses alpinistes de passage ! Durier, sorte de minuscule oasis perdu dans l’immensité minérale, est un refuge optimisé avec soin. La cuisine d’un côté, les couchages de l’autre, une table au milieu, les chiottes à l’extérieur, cela suffit à requinquer n’importe quel courageux avant l’attaque de Bionnassay tôt le lendemain matin.
Nous en avons profité pour nous accorder une sieste bien méritée avant un bon repas pris dans la bonne humeur. J’étais content d’être parvenu jusqu’ici, sorte de privilège accordé aux seuls alpinistes osant s’aventurer là, l’accès à Durier étant bien plus compliqué que l’accès au refuge du Goûter. Réveil à 4 heures pour la grande aventure qui se poursuivrait bien plus tard en fin de journée jusqu’au sympathique refuge de Tête Rousse. J’étais assez serein lors du départ, un peu retardé toutefois pour cause de piles défaillantes dans la frontale d’Olivier (Oh !), ainsi qu’après un essai infructueux de doubler notre corde pour plus de sécurité, chose que nous ne faisons évidemment jamais et que nous avons vite laissé tomber, cela nous ralentissant plus qu’autre chose durant la progression.
Bref, cette première partie de l’ascension s’effectue en rocher puis en remontant de longues pentes de neige jusqu’à un premier bastion rocheux vite gravi. Elle continue ensuite vers le plat de résistance après une nouvelle fine arête en neige. Nous avons fini par rejoindre la cordée du docteur au moment où celle-ci s’apprêtait à s’engager dans le bastion. Nous ne devions les croiser par la suite qu’au Mont Blanc. Ce fameux bastion, nous y avons passé un bon petit moment, l’itinéraire n’étant pas toujours évident même si le guide à Durier nous avait bien dit de « rester sur le « fil ». Oui, mais encore faut-il savoir où se trouve le fil, parfois impossible à gravir en plus ! Toujours est-il que voilà une belle escalade sur du bon rocher dans l’ensemble, composé notamment de fines écailles dont la plupart tiennent bien, tant mieux ! Peu de temps après un passage délicat, nous avons fini par rejoindre la partie en neige. Nous étions sortis du bastion et un belle trace conduisait tout droit au sommet.
Le fait de déboucher en haut de Bionnassay, sur cette fine arête, et apercevoir la suite du parcours oh combien esthétique, est un cadeau en or. Nous nous sommes brièvement congratulés puis avons continué prudemment, quoique la trace était excellente et le vent nul ce jour-là. Arrivés au piton des Italiens, courte pause « barres » bien méritée avant la longue remontée vers le dôme du Goûter. Nous y avons croisé une cordée d’Italiens (Hola !) redescendant vers le refuge Gonella. Cette partie de l’itinéraire allait désormais s’effectuer uniquement sur de vastes champs de neige un peu monotones. Puis nous avons rejoint le boulevard de la voie normale du Mont Blanc avant de nous y engager d’un bon pas. Du sommet, la redescente fut aisée jusqu’à un faux plat de quelques centaines de mètres. Faux plat que je sentis passer bien plus encore que l’ascension du toit de l’Europe. Je crois que mon corps me disais qu’il avait assez souffert pour la journée !
Fort heureusement, il ne restait ensuite plus qu’une longue et sage pente inclinée jusqu’au nouveau refuge du Goûter qui, il faut bien le dire, est une merveille architecturale suspendue on ne sait trop comment au-dessus du vide. Son large balcon circulaire s’avère une vue imprenable sur la vallée verte en contrebas ainsi que sur la face nord ouest de Bionnassay. Nous y fîmes une halte bien méritée – véritable tour de Babel où se croisent des alpinistes du monde entier – jusqu’à même envisager d’y passer la nuit. Mais les tarifs prohibitifs nous ont vite faits reculer malgré la trentaine de places disponible ce jour-là. Du reste, nous avions encore largement le temps de parvenir jusqu’au refuge de Tête Rousse sans rater l’heure du repas. Aussitôt dit, aussitôt fait. Voilà un parcours olé olé, un plongeon pas loin de la verticale, assez souvent dans un dédale de pierrailles où les passages les plus dangereux sont assurés au moyen de câbles. Il faut dire qu’il s’agit de désescalader ni plus ni moins qu’une montagne et ainsi perdre près de 700 m de dénivelé en 3 heures environ.
Nous avons fini par arriver au fameux passage dit « Traversée de la mort » auquel je n’avais pas vraiment réfléchi jusqu’ici. Mais j’ai vite compris qu’il porte bien son nom ! Sans toutefois vivre ce que d’autres ont vécu (https://goo.gl/GQS79D), nous avons tout de même vu débouler de sacrés blocs, Olivier étant même obligé de faire demi-tour au beau milieu du couloir pour plus de sécurité. D’un calme olympien, il l’a ensuite posément traversé une fois la pluie interrompue. Ce ne fut pas mon cas ! Bien que le moment fut propice, je n’ai pu m’empêcher de courir comme un dératé, manquant de me casser la figure au beau milieu du passage. Bref, une sacrée montée d’adrénaline qu’Olivier a comparée à une vulgaire souris pourchassée par un gros matou… J’avais quand même bien fait de me presser puisqu’une fois à Tête Rousse, un guide nous a compté sa mésaventure lors de cette même traversée en compagnie de deux clients : il avait bien cru voir sa dernière heure arriver. « Et un frigidaire, et une bibliothèque », s’amusait-il à nous dire en repensant à l’énormité de certains blocs dévalant le couloir ce jour-là devant leurs yeux effarés.
D’ailleurs, une semaine après notre traversée, cette voie « normale » (devenue anormale à cause du réchauffement) a été bouclée par les autorités à cause du danger devenu trop important : http://goo.gl/OMOnXx. Tête Rousse, ce donc fut le calme après la mauvaise tempête. Nous y avons dégusté avidement deux bols de soupe aux pois cassés, un régal après cette promenade de santé ! Couchés de bonne heure pour ne pas rater le premier départ du petit train, nous avons mis les voiles le lendemain vers 7 h. Après une dernière halte au refuge du Nid d’Aigle face à la langue glaciaire de Bionnassay, nous avons emprunté l’élégant tramway du Mont Blanc (http://goo.gl/v5cSjQ) qui, en un peu plus d’une heure, nous a transportés jusqu’à Saint-Gervais. Ce fut un grand bonheur que de se retrouver au beau milieu de la chlorophylle après 3 jours d’univers minéral. Il ne nous restait plus qu’à faire du stop afin de dégoter une âme charitable qui nous véhiculerait jusqu’au Cugnon, là où nous avions garé la voiture. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Une brave dame, tenant chambres d’hôtes en vallée des Contamines, nous a gentiment emmenés à destination tout en pestant contre les impôts, le gouvernement et tutti quanti… vive la France !!!